Le principe d’ordre général énoncé depuis plusieurs années par la Haute Juridiction et qui semble devoir s’impose systématiquement pour cette catégorie d’obligations est que « le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306.).
Cette position de principe a évidemment soulevé un grand nombre de critiques et fait couler beaucoup d’encre, pour des raisons évidentes, dès lors qu’elle offre une solution cadenassée et brutale, sans laisser aucune place à la nuance alors que le diable est dans les détails.
Quid d’abord de la loi applicable sous le régime de laquelle cette décision a été rendue ?
Le Code civil a, depuis, fait l’objet d’une réforme majeure, introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui a profondément remodelé le droit des contrats et des principes applicables aux exceptions d’inexécution, à l’imprévision et à la force majeure.
Quid aussi du moyen de défense invoqué par les plaideurs choisissant de se positionner sur un terrain plutôt que sur un autre, qui s’avère au final moins propice à leur cause ?
Quid enfin de la spécificité de l’affaire soumise à l’appréciation de la Haute Cour, sachant que la moindre variation des éléments de faits de la cause considérée est susceptible d’ébranler le savant mais fragile équilibre d’un principe qui prétend à une portée universelle ?
Il est important de noter et de conserver en mémoire le fait que l’affaire qui sous-tendait le principe de non-exonération du débiteur d’une somme d’argent pour force majeure, tel qu’énoncé par la Cour de cassation, se rapportait à l’obligation d’une caution qui tentait de s’exonérer en invoquant l’ancien article 1148 du Code civil.
Or cet article permettait uniquement d’échapper à une condamnation à des dommages et intérêts, et non pas à l’obligation sous-jacente, lorsque la force majeure était à l’origine de l’inexécution contractuelle.
Ce schéma contractuel est par trop restreint pour être suffisamment représentatif de l’immense palette et variété d’obligations contractuelles de payer une somme d’argent et, surtout, de forces majeures pouvant être invoquées pour pouvoir s’en libérer.
Il est entendu que la définition de la force majeure admissible ne souffre aucune variante ou contestation, celle-ci devant nécessairement être incontrôlable par le débiteur, imprévisible et insurmontable (ou irrésistible).
Mais au-delà de cette définition, c’est une application systématiquement aveugle et mécaniquement rigide qui a encore conduit, tout récemment, la Cour d’appel de Paris à se fourvoyer dans un arrêt rendu le 12 mai 2021, en posant d’emblée et sans nuance aucune ce principe gravé dans le marbre qui ne saurait, d’après elle, admettre aucune inflexion : « Il est constant que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (CA Paris, Pôle 1, Ch . 3, R.G. n° 20/14094).
Si l’on reste dans le contexte des faits qui ont donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel mentionné ci-dessus, il s’agissait en l’occurrence d’un restaurateur qui justifiait la suspension du paiement de ses loyers par la fermeture administrative forcée à laquelle son établissement avait été contraint en raison de la pandémie de Covid-19.
Or la Cour a éprouvé le besoin d’abonder dans ses motifs décisoires d’un argument complémentaire et, pour elle, certainement décisif, relatif au constat que le restaurateur ne produisait aucun document comptable ni aucune pièce justifiant de difficultés de trésorerie rendant impossible le règlement des loyers et des charges.
Cette surabondance qui est loin d’être fortuite ou accidentelle démontre sans nul doute que la Cour se trouvait plutôt mal à l’aise avec ce principe de l’irrecevabilité de la défense de force majeure dans l’inexécution des obligations de paiement de sommes d’argent, principe qui s’imposait à elle et qu’elle se trouvait forcée de rappeler machinalement de manière crue et supposé être d’application universelle.
Si l’on revient à la véritable stratégie de défense qui consiste à sélectionner avec soin le fondement légal de sa défense et, par conséquent, la référence précise au texte du Code sur lequel on entend bâtir celle-ci, on ne peut que s’interroger avec circonspection sur l’issue du procès et ce qu’aurait pu être au final le dispositif de la Cour d’appel qui nous laisse sur notre faim, si c’est l’article 1220 du Code civil qui avait été invoqué comme moyen de défense.
Cet article dispose qu’ «une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».
Cet article concerne donc l’exception d’inexécution qu’une partie défaillante peut invoquer pour se libérer de son obligation de paiement d’une somme d’argent réclamée par son créancier, banquier ou bailleur.
En l’occurrence, le restaurateur aurait pu valablement invoquer à l’appui de son exception d’inexécution la perte de jouissance des lieux loués qui, même si elle n’est pas exclusivement imputable au bailleur, ne pourrait pas non plus lui être imputable.
Cette perte de jouissance des lieux constitue une inexécution suffisamment grave pour justifier la suspension du paiement des loyers dont la cause est la mise à disposition des locaux. L’impossibilité d’exploiter ces locaux rendrait le bail sans objet et rendrait sans cause le paiement des loyers.
A cet égard, c’est un arrêt, tout aussi récent, de la Cour d’appel de Lyon qui a probablement accompli une démarche intellectuellement plus réjouissante et une exploration juridique plus fouillée de cette notion d’exception d’inexécution en période de pandémie (CA Lyon, Ch. 8, 31 mars 2021, R.G. n° 20/05237).
Là encore, le moyen de défense fondé sur la force majeure et invoqué par le restaurateur a buté – non pas sur le principe en apparence immuable et intransigeant énoncé en 2014 par la Haute Juridiction – mais bel et bien sur des éléments de fait tirés de l’appartenance du restaurateur à un groupe (Bocuse, pour ne pas le nommer), réputé financièrement solide, ce qui démontre l’impact du caractère spécifique de l’espèce sur la décision qui sera rendue au final par les juges.
De même, dans cet arrêt, le choix fait par les Conseils du restaurateur de recourir au fondement légal de l’article 1722 du Code civil qui se rapporte à la perte des lieux loués – moyen dont ils seront déboutés au motif que la définition de la perte est limitée restrictivement à une destruction des lieux – démontre l’importance du verrouillage du débat et des champs annexes auxquels peut donner naissance tout fondement légal, lorsqu’on construit sa stratégie de défense face aux juges.
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